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Interview de Christian BAGNAUD, Président du Tribunal des Activités Économiques du Mans sur l'expérimentation des TAE

L’expérimentation des Tribunaux des Activités Économiques (TAE) a démarré en janvier 2025. Après quelques mois, quel premier bilan tirez-vous de sa mise en œuvre ?

La mise en place du TAE du MANS a été organisée avec le greffe et l’ensemble des présidents de Chambre dès la diffusion de la liste des juridictions retenues ; aussi l’intégration des 6 juges « agricoles » désignés par décret d’août 2024 et validés par la Chancellerie le 17/10/2024, qui ont pu prêter serment dès novembre 2024 et accomplir rapidement l’intégralité de leur formation, s’est déroulée sans difficultés majeures. 

Ainsi le TAE du MANS a pu être opérationnel dès l’entrée en vigueur de la réforme. Les nouveaux juges, qui siègent à tour de rôle, ont été rapidement intégrés par les 22 juges de notre tribunal. Tel n’a malheureusement pas pu être le cas dans la totalité des TAE, notamment en raison du refus par certains juges agricoles de leur désignation. 

Quels sont, selon vous, les principaux changements apportés par les   TAE ? Ces évolutions sont-elles bénéfiques pour les entreprises en difficulté ?

Alors que le mouvement d’extension de compétence matérielle avait depuis longtemps dépassé le monde stricto sensu des commerçants et des actes de commerce, force était par ailleurs de constater que les tribunaux de commerce étaient la juridiction historique du traitement des difficultés des entreprises. Dans un souci de rationalisation et de lisibilité, le premier intérêt pour le justiciable est celui de la prévisibilité et de la simplicité : par exemple au sein du couple SCI-Société d’exploitation, la simplicité de traiter devant la même juridiction les difficultés souvent liées ; de même pour les associations dont l’activité commerciale de certaines étaient toujours un sujet de questionnement pour déterminer la compétence. Mais il faut souligner également que les moyens nécessairement contraints et la multiplicité des missions des tribunaux judiciaires, dans le contexte d’un rythme de procédures collectives nettement moins soutenu, siègent en Province, généralement une voire deux fois par mois ; or les tribunaux de commerce tiennent majoritairement au-moins une audience de procédure collective par semaine. Cette disponibilité et cette rapidité sont d’autant plus appréciées qu’il s’agit de situations d’urgence liées au traitement des salariés, à la mise en place rapide des procédures de restructuration, à la préservation des actifs face aux actions des créanciers.

L’un des points soulevés par le groupe de travail de l’IFPPC concerne la répartition des compétences entre les TAE et les tribunaux judiciaires. Cette articulation vous semble-t-elle aujourd’hui claire et bien   appliquée ?

Les travaux de votre groupe de travail montrent effectivement des incertitudes quant à la répartition des compétences et autant l’usage que les recommandations du comité de pilotage permettront d’aboutir aux clarifications nécessaires.

A ce jour et à ma connaissance, nous n’avons pas rencontré de difficultés de répartition pour les résolutions de plan ou pour l’ouverture des procédures collectives.

Après échange avec certains collègues Présidents de TAE, nous pouvons simplement regretter que tous ne bénéficient du même degré d’échange avec les anciennes formations de procédures collectives de certains tribunaux judiciaires. En revanche, j’ai pu apprécier la mise à disposition des éléments statistiques locaux qui ont permis de préparer la mise en place de la réforme.

Certains praticiens craignaient un risque d’engorgement des TAE. Observez-vous une augmentation du nombre de dossiers traités ? Cette charge est-elle bien absorbée ?

Le risque d’engorgement était exagéré : ne serait-ce qu’au MANS, le TJ a traité en 2024 de 40 affaires en procédures collectives alors que le tribunal de commerce a ouvert plus de 300 affaires.

Et à fin avril 2024, le TAE du MANS a ouvert 130 procédures collectives au total dont 4 dossiers agricoles, 5 professions libérales non judiciaires, 5 SCI et 10 associations parmi lesquelles certaines relevaient déjà de sa compétence en raison de leur commercialité.

Ainsi cette extension de compétence ne constitue nullement un afflux insurmontable, alors même qu’il s’inscrit dans un contexte de hausse généralisée des procédures collectives ; et aucune affaire nouvelle n’est audiencée à plus d’une semaine. 

La collaboration entre les différents acteurs du tribunal (juges consulaires, mandataires de justice, avocats, etc.) a-t-elle évolué avec l’arrivée des TAE ?

La collaboration a été excellente avec les différents acteurs : cette réforme a été appréciée par tous les juges consulaires qui ont eu plaisir à accueillir leurs nouveaux collègues agricoles, appréciant de s’enrichir de leur expérience matérielle d’une part, et de leur faire découvrir le fonctionnement du tribunal et des audiences. 

Le greffe a été particulièrement efficace afin de structurer le cadre matériel de la mise en place de cette réforme, y compris en adaptant sa pratique ; les mandataires et administrateurs judiciaires ont fait preuve de leur efficacité et de leur disponibilité habituelle. Les avocats ont également bien accueilli la réforme avec une réserve quant à la CJE.

Avez-vous constaté des différences notables dans la gestion des procédures amiables et collectives depuis la mise en place des TAE ?

La nouveauté pour nous réside dans la phase de règlement amiable préalable en cas d’assignation par un créancier en vue de l’ouverture d’une procédure collective ; à ce jour seuls deux dossiers sont concernés. Mais je regrette la méconnaissance du mandat ad hoc qui permettrait, hors cessation des paiements, d’entamer des négociations avec les principaux créanciers en vue d’une restructuration de l’endettement, sans attendre nécessairement la cessation des paiements. J’interviens auprès des organisations consulaires et syndicales agricoles en ce sens.

L’un des objectifs affichés de la réforme était d’améliorer l’accessibilité à la justice économique. Cet objectif vous semble-t-il atteint ?

S’agissant des procédures collectives, l’objectif de rapidité avec le rythme hebdomadaire des audiences et l’audiencement sans délai est atteint. Au demeurant, durant les vacances judiciaires, nos juridictions sont structurées pour organiser, en cas de besoin, des audiences exceptionnelles.

Le groupe de travail de l’IFPPC a souligné des interrogations sur la contribution pour la justice économique. Avez-vous constaté un impact concret sur les entreprises en difficulté ? Y a-t-il un risque que cette contribution dissuade certaines entreprises de saisir la justice ?

Sur le premier point, il n’a pas été concrètement constater d’impact. Sur le second point, notre TAE n’a eu à connaître pour l’heure que deux affaires susceptibles de justifier le versement de la contribution pour la justice économique. Quant au versement, s’il n’est pas réalisé dès le premier appel, nous avons arrêté la position qui consiste à radier l’affaire à défaut de versement d’ici le 3ème appel. Mais suite aux observations de votre Groupe de travail, les clarifications du comité de pilotage et de la Chancellerie seront les bienvenues, notamment quant aux modalités d’appréciation du franchissement de seuil et de calcul de la contribution. Le risque est que la CJE suggère le recours au forum shoping.

Si cette expérimentation est généralisée, quels enseignements en tirer pour affiner le modèle des TAE ?

Je ne peux que souhaiter la généralisation de l’expérience des TAE, qui tend à rationaliser le traitement de la justice économique de droit commun.

Cela permettrait par ailleurs de placer tous les acteurs économiques dans une situation d’égalité de traitement, à commencer par l’éligibilité d’une demande à la contribution pour la justice économique, en sorte de mettre un terme à toute idée de forum shopping.

En cas de généralisation, il sera nécessaire d’anticiper la désignation des juges « agricoles » afin de permettre leur prestation de serment et leur formation suffisamment tôt. Au demeurant, je relève que les juges actuels ont été désignés pour 6 années alors que le dispositif expérimental est prévu pour 4 années.

On a parfois entendu qu’il aurait fallu prévoir la nomination, non seulement des juges agricoles, mais également de juges issus du monde associatif, du monde des professions libérales ….

Il s’agit selon moi d’un écueil à éviter : non seulement les chambres de procédures collectives des tribunaux judiciaires, à l’exception des droits locaux particuliers, ne sont constituées que de juges professionnels, mais surtout le TAE doit être conçu comme une juridiction généraliste des activités économiques, notamment en charge du traitement des difficultés des acteurs économiques de droit privé. Et jusqu’ à présent, la diversité naturelle du recrutement des juges consulaires et leurs expériences professionnelles diverses suffisait à créer un creuset de perception des métiers et des activités : au MANS, parmi les 22 juges élus, 4 au-moins sont président d’association, 5 exercent ou ont exercés des activités libérales en tant que consultants…

Quel regard portez-vous sur l’avenir des procédures collectives avec l’instauration des TAE ? Cette réforme vous semble-t-elle aller dans la bonne direction ?

Cette réforme s’inscrit dans le sens de la modernité, de l’approche globale du monde des activités économiques, de la rationalisation des moyens et des compétences.

Pour terminer, je soulignerai la qualité des échanges avec les organisations consulaires et syndicales agricoles de même que des associations qui représentent le monde associatif.   

Propos reccueillis par Bertrand BOUDEVIN, Mandataire judiciaire.

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