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Réflexions sur la contribution pour la justice économique

Dans le cadre de l’expérimentation des Tribunaux des Activités Économiques (TAE), un nouveau dispositif financier interroge les professionnels du droit économique : la contribution pour la justice économique. 

Par Patricia LE MARCHAND, et Christine DE PONTFARCY, Avocates

Prévue par l’article 27 de la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 et précisée par le décret n°2024-1225 du 30 décembre 2024, elle s’applique, depuis le 1er janvier 2025, à toute « demande initiale introduite devant les TAE » lorsque le montant du litige excède 50 000 euros. 

Son montant s’élève de 3 à 5 % des sommes en jeu, soit au minimum entre 1 500 € et 2 500 €.

Au-delà des interrogations légitimes des praticiens sur l'égalité des justiciables face à cette contribution, a fortiori dans la phase expérimentale qui ne concerne que douze tribunaux pilotes, et qui fait déjà l’objet d’un recours en raison de son impact sur l’accessibilité à la justice, plusieurs préoccupations pratiques ont émergé.

Parmi celles-ci figurent le risque accru de forum shopping, la tentation de fractionner les demandes initiales pour contourner les seuils d’application, ainsi que les conséquences sur l’engorgement des juridictions économiques.

Le groupe de travail de l’IFPPC, réuni sur ces enjeux, a soumis une série d’interrogations à la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (DACS), dont les réponses permettent d’esquisser des lignes directrices, tout en soulignant la nécessité de clarifications complémentaires.

I. Ce que prévoit la circulaire du 6 février 2025

La circulaire du 6 février 2025 émise par le Ministère de la justice, adressée aux juridictions et aux greffes, précise plusieurs points essentiels pour la mise en œuvre de la CJE. On peut notamment y relever :

  • Exclusion des procédures collectives et amiables du champ d’application de la CJE (p. 2) : les demandes relatives à l’ouverture ou au déroulement de telles procédures ne sont pas soumises à la contribution.
  • Nature juridique de la CJE : elle est intégrée aux dépens visés à l’article 695, 1° du Code de procédure civile (p. 10), et donc potentiellement mise à la charge du défendeur si le demandeur obtient gain de cause.
  • Reprise d’instance après procédure collective : l'interruption d’une instance en raison de l’ouverture d’une procédure collective n’entraîne pas de nouvelle contribution en cas de reprise ultérieure (p. 7).
  • Sanction du non-paiement : le défaut de justification du paiement peut entraîner une irrecevabilité de la demande (p. 9), laissée à l’appréciation du juge.
  • Justificatifs d’exonération : la circulaire impose la production de bilan(s) ou avis d’imposition selon la nature de la partie demanderesse.

Ce dernier point nous semble poser difficultés en pratique des difficultés pour certaines entreprises ou personnes physiques.

II. Ce que précise la DACS à l’IFPPC

Répondant aux questions transmises par le groupe de travail de l’IFPPC, la DACS, que nous remercions sincèrement pour son retour, apporte un éclairage utile, en particulier sur deux points complexes : la portée de l’exonération, et l’application de la CJE aux entreprises en difficulté engagées dans un contentieux.

A. Sur la notion de demande "formée à l’occasion" d’une procédure

Le 1° du II de l’article 2 du décret prévoit une exonération pour les demandes "formées à l’occasion" d’une procédure amiable ou collective. Cette formule, ni définie par le décret, ni précisée par la circulaire, laissait place à l’incertitude.

La DACS recommande une interprétation fondée sur l’article R. 662-3 du Code de commerce, qui proroge la compétence du tribunal de la procédure collective à toutes les contestations qui en sont l’accessoire ou la conséquence directe. Cette analyse est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui qualifie comme relevant de la procédure collective toute action née de celle-ci ou soumise à son influence juridique

 (Com. 8 juin 1993, n°90-13821).

Sur cette base, la DACS opère une distinction claire :

Exonération justifiée :

  • Action en insuffisance d’actif (L. 651-2 C. com.) : intrinsèquement liée à la liquidation judiciaire, elle est indissociable de la procédure.
  • Faillite personnelle, interdiction de gérer (L. 653-1 s.) : également rattachées à la procédure.

Non exonération :

  • Action en soutien abusif (L. 650-1) : bien que souvent liée au contexte économique de la défaillance, elle ne découle pas directement de la procédure.
  • Action en rupture abusive de crédit : relève du droit commun de la responsabilité, indépendamment de la procédure collective (Com. 3 juin 1997, n°95-13981).

Ainsi, une demande n’est exonérée que si elle relève de la compétence du tribunal de la procédure collective en application de l’article 

R. 662-3, critère qui appelle à une grande vigilance dans la rédaction et la qualification des demandes.

B.  Sur la situation des entreprises en difficulté demandeuses

L’IFPPC a également interrogé la DACS sur l’assujettissement à la CJE d’une entreprise placée en redressement ou liquidation judiciaire qui introduit un contentieux commercial devant un TAE.

La DACS confirme que l’ouverture d’une procédure collective n’emporte pas exonération, sauf si la demande est directement rattachée à la procédure.

En d’autres termes :

Une entreprise débitrice, en liquidation judiciaire, assignant un fournisseur pour rupture de contrat commercial, devra acquitter la contribution, sauf à démontrer que l’action s’inscrit dans les prolongements directs de la procédure collective.

Cela constitue un obstacle potentiel à l’accès au juge, notamment pour les professionnels judiciaires qui interviennent pour le compte de débiteurs en difficulté. Le groupe de travail de l’IFPPC recommande à cet égard :

  • soit une « exonération automatique » des débiteurs en procédure ;
  • soit à défaut, un « étalement du paiement » selon des modalités à définir avec les juridictions.

III. Des pratiques encore hétérogènes entre greffes

Dernier point relevé par les professionnels : l’inégale exigence des justificatifs d’exonération. Certains greffes se satisfont d’une attestation sur l’honneur ; d’autres exigent une production documentaire complète (bilans, pièces fiscales), ce qui complexifie inutilement la saisine.

La circulaire (p. 17-18) tente d’unifier les pratiques en listant les justificatifs attendus, mais l’IFPPC alerte sur la nécessité d’une application homogène et simplifiée sur tout le territoire.

Conclusion

La contribution pour la justice économique, présentée comme un levier de responsabilisation des acteurs économiques, ne doit pas devenir un frein à l’accès au juge, en particulier pour les entreprises les plus exposées aux risques de défaillance.

L’IFPPC continuera à suivre avec attention l’application de cette expérimentation au cours des prochaines semaines.     

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