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L’illicéité des critères subjectifs dans l’évaluation professionnelle : impacts sur la restructuration sociale et le contrôle administratif

Par Laurent GRISONI et Etienne MASSON, Avocats associés

À l’ère des soft skills, l’évaluation des salariés ne se limite plus aux seules compétences techniques. Les entreprises recherchent des collaborateurs « positifs », « authentiques », « engagés » et n’hésitent plus à formaliser ces attentes dans leurs entretiens d’évaluation.

Mais le droit du travail oppose une limite nette : si l’employeur peut apprécier la performance professionnelle, ni la valeur morale ni la personnalité intime des salariés ne doivent être prises en compte

C’est ce que rappelle l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 15 octobre 2025 : est illicite un dispositif d’évaluation fondé notamment sur l’« optimisme », l’« honnêteté » et le « bon sens ». L’employeur ne peut en conséquence continuer à utiliser l’entretien en cause.

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante sur les conditions de licéité des méthodes d’évaluation, mais elle en précise la portée dans un contexte marqué par la montée en puissance des critères comportementaux et par les nouvelles exigences européennes de transparence et d’égalité.

Cette approche doit être intégrée, notamment dans la mise en œuvre des procédures de restructuration sociale nécessitant l’application des critères d’ordre de licenciement, et des contraintes qui peuvent se poser en matière d’appréciation du critère de qualités professionnelles.

En application de l’article L. 1121-1 du code du travail, les restrictions apportées aux droits et libertés des salariés doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. 

Sur cette base, la Cour de cassation admet de longue date que l’employeur, en vertu de son pouvoir de direction dispose du droit d’évaluer le travail de ses salariés, à condition de respecter certaines garanties.

Les articles L. 1222-2 et L. 1222-3 du code du travail imposent en particulier : une information préalable et claire des salariés sur les méthodes et techniques d’évaluation mises en œuvre ;

  • une conformité de ces méthodes aux exigences de loyauté, de transparence et de pertinence au regard de la finalité poursuivie.
  • Ces dispositions visent en premier lieu les procédés techniques (tests, questionnaires, logiciels, etc.), mais la jurisprudence y rattache également le contenu même des critères d’évaluation.

Trois exigences structurent le contrôle de licéité des critères retenus par l’employeur : la précision, l’objectivité et la pertinence, point central de l’arrêt du 15 octobre 2025.

Le dispositif déféré à la censure de la Cour de cassation prenait la forme d’un « entretien de développement individuel ». Une partie distincte de cet entretien était consacrée aux « compétences comportementales groupe ». Sous les items « engagement » et « avec simplicité » figuraient notamment les notions d’« optimisme », d’« honnêteté », et de « bon sens ».

Le syndicat CFDT saisit le juge afin d’obtenir l’interdiction de ce dispositif et l’annulation des entretiens déjà réalisés, au motif que ces critères ne répondraient pas aux exigences légales.

L’employeur faisait valoir, au contraire, que la capacité professionnelle ne se limite pas aux compétences techniques, mais englobe les facultés d’adaptation, d’intégration dans une équipe, de collaboration et de progression. À ce titre, il estimait légitime de prendre en compte certains traits de personnalité, pour apprécier par exemple l’aptitude à exercer des fonctions d’encadrement.

La question posée à la Cour de cassation était donc de savoir si ces notions pouvaient être regardées comme des critères licites d’évaluation, au regard des exigences de précision, d’objectivité et de pertinence rappelées ci-dessus.

La Cour approuve les juges du fond qui ont relevé le caractère :

  • trop vague et imprécis des notions en cause, ne permettant pas d’identifier un lien direct avec l’exécution du travail ;
  • trop moralisateur, en ce qu’elles rejaillissent sur la personnalité et la sphère personnelle des salariés ;
  • trop subjectif, laissant une marge excessive d’appréciation à l’évaluateur, au détriment de l’objectivité et de la transparence.

Ainsi, les critères litigieux qui ne répondent donc pas à la triple exigence de précision, d’objectivité et de pertinence sont déclarés illicites et la procédure d’évaluation doit, en conséquence, être neutralisée.

Il convient de rappeler que l’obligation visée à l’article L. 1222-3 du code du travail est renforcée par la directive (UE) 2019/1152 sur des conditions de travail transparentes et prévisibles, qui suppose non seulement de transmettre le support d’entretien, mais aussi de définir les critères de manière intelligible et rattachable à l’activité professionnelle.

Les soft skills ne sont donc pas exclues par principe, mais doivent être traduits en comportements observables, mesurables et reliés à la fonction.

La directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023, à transposer d’ici le 7 juin 2026, renforce encore cette exigence de transparence et impose notamment de mettre à la disposition des travailleurs les critères utilisés pour déterminer la rémunération, les niveaux de rémunération et les perspectives de progression et d’assurer le caractère objectif et non sexiste de ces critères, en prenant en compte les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail, y compris les compétences non techniques.

Un des apports majeurs de l’arrêt du 15 octobre 2025 tient à la sanction retenue. L’employeur soutenait que seule la partie relative aux « compétences comportementales » devait être écartée, le reste de l’entretien, centré sur les objectifs et les résultats, demeurant licite.

La Cour rejette cette analyse et estime qu’à défaut de pouvoir isoler l’impact des critères illicites, c’est l’ensemble de la procédure d’évaluation qui est jugé illicite et dont l’utilisation est interdite. 

Au-delà des conséquences que peut avoir la neutralisation du système d’évaluation sur la rémunération ou l’évolution de carrière, ou sur un licenciement pour insuffisance professionnelle, la question peut se poser sur la manière dont ces entretiens doivent être pris en compte dans l’évaluation des critères d’ordre de licenciement et plus particulièrement le critère de qualités professionnelles.

Rappelons en effet que dans le cadre d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique, entraînant la mise en place d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi sous forme de document unilatéral, l’Administration du Travail va contrôler la régularité de la procédure et notamment les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements.

Aujourd’hui, à partir du moment où un système d’évaluation existe dans l’entreprise, la DREETS impose que ce dernier soit pris en compte au titre des qualités professionnelles.

Le Conseil d'État a précisé les contours du contrôle administratif en matière d'ordre des licenciements : 

  • la DREETS doit ainsi vérifier que les 4 critères légaux sont bien pris en compte et qu'aucun d'eux n'est neutralisé - ce qui reviendrait à l'ignorer (CE, 1er févr. 2017, n° 387886)
  • Elle vérifie également s'agissant du critère des qualités professionnelles, que les éléments retenus par l'employeur sont pertinents pour apprécier ces qualités et n'ont pas été définis dans le but de cibler certains salariés (CE, 31 oct. 2023, n° 456332 CE, 31 oct. 2023, n° 456091).
  • Enfin, le Conseil d’Etat estime qu'à défaut d'évaluation professionnelle des salariés, l'employeur peut prendre en compte, dans le plan de sauvegarde de l'emploi, leur mobilité géographique ou professionnelle pour apprécier leurs qualités professionnelles et définir l'ordre des licenciements. Il ne résulte selon lui d'aucune règle ni d'aucun principe que le critère d'ordre relatif aux qualités professionnelles doit être apprécié en prenant en compte au moins 2 indicateurs distincts. (CE, 12 avr. 2024, n° 459650).

La question se pose évidemment de savoir si en présence d’entretiens d’évaluation, établis sur la base de critères subjectifs tels que ceux de l’arrêt du 15 octobre 2025, ces derniers doivent être tout de même pris en compte ou bien écartés au profit d’autres critères comme le présentéisme ou les sanctions disciplinaires.

Dans une approche pragmatique, l’Administration du Travail précise que dans le cas où des salariés n’auraient pas été évalués ou dont l’entretien est inexploitable (pas de cotation objective, objectifs non réalisables, entretiens non renseignés et non signés, entretiens différents au sein de la catégorie), il est conseillé de choisir d’attribuer à ces salariés un nombre de points correspondant à la moyenne de tous les autres salariés appartenant à la même catégorie. 

Elle n’a toutefois à notre connaissance pas évoqué dans sa doctrine la situation des entreprises disposant d’entretiens intégrant des critères comportementaux.

Dans cette hypothèse, il nous semble opportun, au regard de l’arrêt commenté, d’informer précisément la DREETS des raisons objectives qui conduiraient à ne pas retenir les entretiens d’évaluation au titre des qualités professionnelles.

Là encore, les maîtres mots sont l’échange et l’anticipation pour éviter un refus d’homologation ou un recours contentieux contre la décision d’homologation. 

Au-delà de l’acceptabilité des systèmes d’évaluation par les salariés comme des juges, il est important de pouvoir analyser précisément les éléments remis par l’entreprise, notamment lors des procédures de restructuration en application des articles L. 631-17 et 642-5 du Code de commerce, dans lesquelles l’Administrateur judiciaire est en responsabilité. 

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