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Questions à Marie Andrée BESSON, Présidente de Solidarité Paysans
Solidarité Paysans est une association nationale de défense et d’accompagnement des agriculteurs en difficultés, constituée de 27 associations départementales et/ou régionales couvrant 82 départements. 1000 bénévoles et 100 salariés sont mobilisés au service des agriculteurs et agricultrices pour accompagner plus de 3500 familles chaque année.
L'accompagnement global, réalisé le plus souvent par des agriculteurs est organisé autour de trois dimensions en vue de conforter l'autonomie des personnes accompagnées :
Principales activités : L'association nationale développe les moyens nécessaires à la défense individuelle et collective des agriculteurs par le soutien à l'organisation et la structuration des associations membres, et par le plaidoyer auprès des instances nationales.
Elle assure la coordination de la vie du réseau en favorisant l'échange des pratiques au sein du réseau afin d'être au plus proche des réalités vécues par les paysans en difficulté. La finalité de l'action de Solidarité Paysans est l'émancipation des personnes et le renforcement de leur pouvoir d'agir grâce à l'accompagnement individuel et collectif réalisé par les associations locales.
L'accompagnement de Solidarité Paysans ne peut débuter qu'à la suite de l'appel de l'agriculteur ou l’agricultrice. Il se réalise en binôme par des pairs, dans l’écoute, le respect du choix des personnes, dans la confidentialité. Un accompagnement qui redonne confiance et permet aux agriculteurs de retrouver de l’autonomie.
L’accompagnement de Solidarité Paysans est global, dans la durée, essentiellement centré sur la personne. Appelé le plus souvent pour des problèmes d’endettement, ceux-ci ne seront abordés qu’après une période d’échanges permettant de comprendre la situation, ses causes : accident, maladie, départ d’un associé, divorce, erreur de choix techniques… et ses effets, stress, isolement, épuisement, perte de sens du métier… Ces derniers pouvant être, à l’inverse, les causes des difficultés.
L’étape suivante, c’est un diagnostic partagé réalisé à partir des documents comptables, une réponse aux urgences et une reprise de contact avec les créanciers, si besoin (échéanciers…).
Aller en justice n’est pas évident pour les agriculteurs et agricultrices ; en situation de faiblesse, ils appréhendent le passage au tribunal, craignent le « qu’en dira-t-on » et connaissent mal les procédures collectives. Le rôle des bénévoles de Solidarité Paysans c’est déjà de rassurer les personnes, leur expliquer le rôle protecteur de la justice (livret de présentation pour les personnes accompagnées), c’est les accompagner dans les démarches, le montage de plans…
Notre participation aux rendez-vous avec les mandataires, notre présence et nos interventions aux audiences permettent d’amener d’autres éléments complémentaires sur les situations que nous accompagnons. Notre soutien permet aux paysans et paysannes d’assumer ce passage au tribunal, de bénéficier au mieux des possibilités ouvertes par les procédures collectives, avec l’objectif de la continuité de leurs exploitations.
La question est très large ! Nous nous contenterons d’aborder les points qui nous semblent prioritaires donc.
En préambule, il est important de rappeler que le monde agricole est très hétérogène, et que les écarts de revenus peuvent être énormes. Les difficultés des exploitations agricoles ne sont donc pas toutes les mêmes.
De notre point de vue, du côté de l’accompagnement des agriculteurs en difficulté, les mesures mises en place à la suite de la mobilisation du secteur agricole début 2024 ne répondent pas aux besoins fondamentaux des agriculteurs. Par exemple, la réduction des normes environnementales ne va pas régler les problèmes de revenus du travail agricole ! Des allégements de normes administratives sont nécessaires mais ces demandes-là n'ont pas été entendues. Il y a eu peu de modification sur ce point.
La problématique essentielle du secteur agricole est le décalage entre le revenu et la quantité de travail fournie par les paysans. En 2021, 18% des exploitants ont un revenu qui les situe sous le seuil de pauvreté[1].
L’agrandissement croissant des exploitations est aussi un gros problème : il implique des investissements et un endettement à long, voire très long terme. Cela impacte ensuite les gens qui s’installent, car ils démarrent avec un endettement très important comparativement aux autres professions (le taux d’endettement est passé de 32% en 2000[2] à 42,5% en 2021[3]).
Il faut dire aussi que le soutien de l’Etat et des institutions européennes a porté, et continue de porter, surtout vers le développement d’une forme d’agriculture plutôt « industrielle », au détriment d’une agriculture paysanne, plus autonome et respectueuse de l’environnement et des personnes qui travaillent la terre. Par exemple, les aides PAC, attribuées en fonction de la surface, pénalisent les petites exploitations, et notamment les exploitations en maraichage.
L’accès au foncier est une autre difficulté : les prix des terres ont beaucoup augmenté, d’autant plus que se développe une concurrence sur les usages, via l’urbanisation, la méthanisation et même aujourd’hui l’agrivoltaïsme qui fait déjà flamber les prix des terres à la location !
Finalement les principales difficultés des exploitations agricoles que nous rencontrons sont liées au contexte de développement d’une agriculture toujours plus compétitive : difficultés financières liées au surendettement, perte de la maitrise de son outil et de son autonomie, perte de sens au métier, excès de travail et épuisement professionnel…
[1] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/01/un-tiers-des-agriculteurs-a-moins-de-350-euros-par-mois-un-chiffre-date-et-conteste_6214270_4355770.html
[2] https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/DOS203/1Pages%20de%20Dossier2020-3_CCAN_ChapitreI.pdf
[3] https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Chd2316/cd2023-16_Rica_Europe_2021.pdf
Les moyens pour améliorer l'information des agriculteurs sont nombreux mais pas toujours adaptés aux besoins des personnes, notamment quand ils sont mis en œuvre par les créanciers centres de gestion, banques, coop...
Il est très important que les acteurs qui se mobilisent pour aider à faire face aux difficultés soient neutres c'est à dire détachés des créanciers du fait des intérêts divergents.
Solidarité Paysans réalise l'information à différents niveaux : très en amont dans les lycées agricoles, les centres de formation agricole et plus directement auprès des agriculteurs sollicitant notre intervention. L'accompagnement dans le temps et la confiance permet de mettre en œuvre les dispositifs adéquats pour résoudre les difficultés. Une partie de nos missions consiste à démystifier les procédures collectives et accompagner les agriculteurs dans les démarches avant l’entrée dans les procédures et pendant, notamment via la négociation d’échéanciers avec les créanciers.
La question peut également être traitée grâce aux CDAD, via l’entrée accès aux droits. Certains sont d’ailleurs spécialisés « agricole ». Dans certains départements, Solidarité Paysans est en lien avec le Conseil départemental de l’accès au droit.
Les questions de sensibilisation et d'information pourraient être développées dans le cadre du développement de la feuille de route « prévention du mal être et accompagnement des agriculteurs en difficulté » afin de présenter les procédures collectives, et notamment amiables. Si la phase de détection des difficultés est traitée de façon prioritaire (déploiement des Sentinelles), la mise en place de moyens concrets pour traiter les difficultés économiques, techniques, juridiques reste difficile.
Les paysans et paysannes vont être directement concerné.es par cette expérimentation. Dans les douze ressorts choisis par le garde des Sceaux, leurs procédures seront traitées par ces nouveaux tribunaux des activités économiques, même si les exceptions agricoles en matière de procédures collectives restent applicables (règlement amiable judiciaire obligatoire pour un créancier avant d’assigner en procédure collective, durée de la période d’observation adaptée à l’année culturale, plans de continuation pouvant aller jusqu’à 15 ans…).
A partir du 1er janvier prochain, les professions agricoles vont donc être jugées par des juges consulaires artisans et commerçants issus des tribunaux de commerce et des juges assesseurs agriculteurs.
Depuis les travaux des Etats généraux de la justice, Solidarité Paysans est opposé à cette réforme, que nous jugeons dangereuse pour les agriculteurs dans un contexte particulièrement difficile.
Les paysans ont besoin d’aborder ces procédures en confiance, et avec une certaine prévisibilité et sécurité juridique. Cela risque de ne pas être le cas. Il sera beaucoup plus difficile de les amener à envisager de se mettre sous la protection de la justice alors qu’ils risquent d’avoir un juge agriculteur, et que l’on connait les multiples conflits d’intérêts qui traversent la profession !
Solidarité Paysans est satisfait du traitement des procédures collectives par les tribunaux judiciaires, et attaché au service public de la justice et à la gratuité de cette dernière !
Quand tant de modifications seraient nécessaires pour améliorer la situation des agriculteurs, expérimenter des changements de tribunaux pour les plus en difficulté ne nous semble ni pertinent ni prioritaire !
Tout au long du processus nous avons été force de propositions, auprès du ministère de la justice, mais également des parlementaires.
Maintenant que l’expérimentation est adoptée, nous allons rencontrer les présidents des TAE, nous présenter, et faire le maximum, comme nous le faisons toujours, de manière professionnelle et apaisée, pour que les procédures se passent au mieux, dans l’intérêt des personnes accompagnées.
Nous serons vigilants, et ferons remonter nos observations et critiques (positives et négatives) au comité d’évaluation de l’expérimentation, afin que notre travail aux côtés des débiteurs continue de nourrir le débat.