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Lors de la journée d’étude du 41ème Congrès national de l’IFPPC, qui s’est tenue le 3 octobre 2025 à Berlin, près de 200 participants se sont réunis autour du thème :
« Procédures collectives et groupes de sociétés : de la TPE à l’ETI, quelles
spécificités ? ».

Nous tenons à remercier chaleureusement l’ensemble des intervenants pour leurs contributions : JEAN-JACQUES ANSAULT, SERGE PREVILLE, FRANÇOIS DESPRAT, PIERRE CHARLIER, NATHALIE LEBOUCHER, THIBAUD POINSARD, KRISTELL CATTANI, AURÉLIE DERVILLE, PAUL LEDERLIN, AURÉLIEN MOREL, LAURENT GRISONI, ETIENNE MASSON, VICTOR GENESTE, MYLÈNE BOCHE-ROBINET et ANDREA METZ.
Les échanges ont permis d’éclairer les enjeux juridiques, économiques et opérationnels liés à la gestion des groupes de sociétés confrontés à des difficultés.
L’article qui suit restitue ces réflexions.
Les groupes de sociétés se caractérisent par la coexistence d’une réalité économique unifiée et d’une fragmentation juridique en entités autonomes. Cette dualité complique l’application du droit des entreprises en difficulté, fondé sur l’unité patrimoniale du débiteur. La notion de groupe, absente du Code de commerce, n’a été introduite que par touches successives à travers la jurisprudence et quelques textes spécifiques (notamment art. L. 662-8 C. com.).
Cette absence de cadre général contraint le juge à raisonner sur la base d’institutions de coordination (confusion des patrimoines, co-mandats, prorogations de compétence, etc.), dont chacune traduit une approche ponctuelle du phénomène groupal.
1. Le cadre juridique
L’article L. 621-2 du Code de commerce permet d’étendre une procédure collective à une autre personne morale « en cas de confusion de patrimoines ou de fictivité ».
Cette extension de procédure n’est pas pensée comme une véritable sanction, mais un mécanisme d’unification patrimoniale : elle vise à reconstituer le gage commun des créanciers lorsque les frontières juridiques sont artificielles ou détournées.
Elle peut être demandée par le liquidateur, l’administrateur judiciaire ou le ministère public, voire par le débiteur lui-même depuis l’ordonnance du 12 mars 2014.
2. La confusion des patrimoines
La jurisprudence constante (Cass. com., 19 avr. 2005, Metaleurop ; Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-10.254) rappelle que la confusion suppose l’existence de relations financières anormales ou une imbrication des flux rendant impossible la distinction des patrimoines.
L’anormalité s’apprécie au regard des pratiques du groupe : un cash pooling régulier et documenté, des avances temporaires ou un abandon de créances justifié par l’intérêt du groupe ne suffisent pas à la caractériser.
À l’inverse, la substitution d’un actif par un autre, des flux constants sans justification économique ou l’absence de toute comptabilité séparée révèlent la confusion.
3. La fictivité de la personne morale
La fictivité vise les structures dépourvues de substance économique, créées pour masquer la véritable identité du débiteur ou détourner les droits des créanciers (Cass. com., 6 mai 1997).
Elle suppose la démonstration d’une absence totale d’autonomie : défaut d’activité réelle, de moyens propres, de direction ou de compte bancaire distinct.
Le juge retient alors la disparition de la personnalité morale comme simple écran, et étend la procédure à la société instrumentalisée.
1. L’intérêt à agir et la finalité de l’extension
L’action en extension est dite « attitrée » : elle relève des organes de la procédure (liquidateur ou administrateur).
Toutefois, la jurisprudence tend à exiger la preuve d’un intérêt collectif : l’extension doit présenter un bénéfice réel pour les créanciers
(ex. : élargissement de l’actif utile à la réalisation du plan ou à la cession d’ensemble).
Elle ne saurait être utilisée pour contourner l’autonomie de sociétés solvables ou simplement connexes.
2. Le champ d’application matériel
L’extension produit un effet rétroactif à la date du jugement d’ouverture initial, entraînant la réunion des masses actives et passives.
Elle ne s’étend toutefois pas automatiquement aux dirigeants ou aux associés, sauf fraude caractérisée.
Les garanties et sûretés consenties à titre individuel demeurent distinctes, sous réserve de leur validité propre (notamment au regard de la proportionnalité et de la période suspecte).

Certains auteurs ont proposé de substituer à l’extension des actions de droit commun (responsabilité délictuelle ou civile).
Mais celles-ci poursuivent une finalité différente : la réparation d’un préjudice individuel, non la préservation du gage collectif.
L’extension reste donc l’instrument le plus adapté à la logique collective du Livre VI, tout en devant être maniée avec prudence pour ne pas effacer les frontières juridiques légitimes entre sociétés économiquement solidaires.
1. Le rôle structurant des flux intra-groupes
Les groupes de sociétés reposent sur des mécanismes de mutualisation des ressources - trésorerie, financement, management, actifs immatériels - qui assurent la cohérence économique du périmètre.
Ces flux, légitimes dans une logique de direction unifiée, deviennent problématiques lorsque la défaillance d’une entité perturbe l’équilibre global.
Le droit des entreprises en difficulté se trouve alors confronté à la tension entre l’intérêt social propre à chaque société et l’intérêt collectif du groupe (Crim., 4 févr. 1985, Rozenblum).
2. La mise en place du cash pooling
Le cash pooling illustre ce paradoxe. S’il permet d’optimiser la trésorerie du groupe par une centralisation des flux, il expose les sociétés participantes à un risque de contagion immédiat.
Les conventions de trésorerie doivent, conformément à la doctrine de l’AMF et à la jurisprudence (not. CA Paris, 17 mars 2022), définir précisément :
À défaut, la société en difficulté risque d’être qualifiée de prêteur de fonds sans contrepartie, pouvant justifier une action en comblement de passif ou en nullité d’actes (C. com., art. L. 632-1).
3. L’impact de l’ouverture d’une procédure sur le cash pooling
L’ouverture d’une procédure collective interrompt les mouvements de trésorerie (C. com., art. L. 622-13).
La société en procédure est isolée du mécanisme centralisateur, ce qui désorganise souvent l’ensemble du système bancaire du groupe.
Les banques, confrontées à des comptes miroirs, doivent reconstituer les positions nettes de chaque société à la date du jugement.
Les praticiens recommandent, dans les groupes intégrés, de documenter la convention de trésorerie et d’envisager des clauses de déclenchement anticipé afin d’éviter le gel brutal des flux et la requalification de mouvements postérieurs à l’ouverture.

1. LBO : vulnérabilité structurelle et effet de levier
Dans un Leverage Buy-Out (LBO), la holding de reprise s’endette pour acquérir la société cible et rembourse sa dette grâce aux remontées de trésorerie de celle-ci. Ce montage crée un risque de contagion financière inversée, la difficulté de la cible rendant impossible le désendettement de la mère.
Les juridictions observent que les échecs de LBO découlent souvent d’un prix d’acquisition trop élevé, d’un excès de levier ou d’une détérioration conjoncturelle (v. CA Paris, 3 juill. 2019).
Lorsque la filiale supporte le poids de la dette sans en retirer d’avantage économique, les dirigeants peuvent être poursuivis pour faute de gestion ou abus de biens sociaux.
2. Les flux anormaux et le « compte courant inversé »
Les flux montants, sous forme d’avances en compte courant ou de management fees non justifiés, constituent un signe de déséquilibre.
Ils peuvent être requalifiés en distributions fictives ou en concours anormaux (Cass. com., 10 janv. 2006, AOM-Air Liberté).
Une telle pratique peut aussi justifier une extension de procédure ou une action en comblement de passif si la filiale a financé sa mère sans intérêt propre ni contrepartie réelle.
La prévention de ces dérives passe par la formalisation d’une politique de flux intra-groupe compatible avec l’intérêt social de chaque entité.
3. Le contrôle des garanties intra-groupe
La jurisprudence impose une double condition à la validité des garanties accordées par une filiale pour la dette de sa mère :
L’argument de la communauté d’intérêts de groupe ne saurait justifier un engagement ruineux.
Une garantie disproportionnée, consentie sans avantage économique, encourt la nullité ou, en procédure, l’inopposabilité au titre de la période suspecte (C. com., art. L. 632-1).
1. Les procédures amiables : coordination sans confusion
En mandat ad hoc ou en conciliation, la notion de groupe favorise la recherche d’un équilibre entre les sociétés concernées, mais au prix d’une plus grande complexité.
La pratique montre que les négociations menées au niveau de la holding peuvent avoir des effets collatéraux sur les filiales, notamment en matière de garanties ou d’abandons de créances.
La circulaire du 14 mai 2020 relative aux procédures amiables recommande de ne pas étendre automatiquement le périmètre de la conciliation à toutes les sociétés du groupe, mais d’envisager un traitement coordonné.
La confidentialité des procédures amiables doit en outre être préservée pour éviter un risque de propagation réputationnelle.
2. Les procédures collectives : articulation des plans
L’ouverture de plusieurs procédures au sein d’un même groupe suppose une coordination étroite des organes et des juridictions.
Les tribunaux favorisent la désignation d’administrateurs et de mandataires communs pour garantir une approche cohérente.
L’article L. 626-19 du Code de commerce permet une coordination des plans entre sociétés, notamment par des options croisées de paiement ou de cession.
Toutefois, chaque plan demeure propre à la société concernée et doit être justifié par son intérêt social. La logique de groupe ne saurait effacer le principe d’autonomie juridique des débiteurs.
3. L’intérêt de groupe comme boussole du juge
L’intérêt de groupe, admis par la jurisprudence Rozenblum (Crim., 4 févr. 1985) puis repris par le droit positif (art. L. 233-3 et L. 233-16 C. com.), sert désormais de référence dans l’appréciation de la légitimité des décisions intra-groupe.
Il justifie qu’une société supporte temporairement un déséquilibre au profit de l’ensemble, à condition que :
Cette grille de lecture irrigue les décisions récentes en matière de concours, de garanties et de flux internes.
1. Responsabilité des dirigeants
Les dirigeants peuvent voir leur responsabilité engagée lorsque la gestion du groupe méconnaît l’autonomie de la société en difficulté.
La faute de gestion est caractérisée dès lors que le dirigeant agit dans l’intérêt exclusif du groupe ou de la mère, au détriment de la filiale (Cass. com., 18 janv. 2017).
Les administrateurs judiciaires veillent ainsi à identifier les décisions prises dans un intérêt de groupe « dévoyé » pour déterminer les actions en responsabilité (C. com., art. L. 651-2).
2. Co-emploi et responsabilité sociale de la mère
La chambre sociale de la Cour de cassation limite la reconnaissance du co-emploi aux hypothèses d’immixtion permanente et anormale de la mère dans la gestion de la filiale (Cass. soc., 2 juill. 2014).
Une simple coordination ou une direction commune ne suffisent pas.
En revanche, la mère peut être responsable sur le fondement délictuel si sa gestion fautive a directement provoqué la rupture des contrats de travail de la filiale (Cass. soc., 24 mai 2018).
Cette solution offre un cadre d’équilibre entre autonomie juridique et solidarité économique.
1. La détermination du tribunal compétent
Le traitement collectif des difficultés des groupes suppose une cohérence juridictionnelle.
En droit interne, la compétence d’attribution est régie par les articles L. 621-2, L. 631-7 et L. 641-1 du Code de commerce, selon la nature de l’activité du débiteur.
Traditionnellement, les sociétés commerciales relèvent du tribunal de commerce, tandis que les professions libérales ou civiles relèvent du tribunal judiciaire.
Cependant, la multiplication des structures mixtes au sein des groupes a conduit à des difficultés de coordination.
2. Les tribunaux des activités économiques (TAE)
La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 a instauré, à titre expérimental, les tribunaux des activités économiques (TAE) à compter du 1er janvier 2025.
Ces juridictions sont compétentes pour connaître des procédures du Livre VI concernant toutes les catégories d’entreprises, à l’exception des professions libérales réglementées.
Elles ont vocation à renforcer la lisibilité de la carte judiciaire et à éviter les divergences d’appréciation entre ordres juridictionnels.
La compétence des TAE s’applique aux procédures ouvertes postérieurement au 1er janvier 2025, sans effet rétroactif.
3. La spécialisation des tribunaux de commerce
Pour les groupes de grande taille, la compétence revient aux tribunaux de commerce spécialisés (TCS) en vertu de l’article L. 721-8 du Code de commerce et du décret n° 2016-217 du 26 février 2016. Ces juridictions traitent des procédures dont le chiffre d’affaires ou les effectifs dépassent certains seuils, ou qui impliquent des groupes dépassant ces seuils.
La Cour de cassation a qualifié cette disposition de règle de répartition interne et non de compétence d’ordre public (Com., 17 nov. 2021, n° 19-50.067), de sorte que le moyen tiré de son inobservation doit être soulevé in limine litis.
4. Les co-désignations
Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (dite loi Macron), la désignation de deux administrateurs judiciaires et de deux mandataires judiciaires est devenue obligatoire dans les dossiers relevant des tribunaux de commerce spécialisés (TCS) lorsque les seuils fixés par les articles
R. 662-3 et suivants du Code de commerce sont atteints. Il importe, dans ce cadre, de maintenir la participation du praticien local, administrateur et/ou mandataire du ressort où est implantée l’entreprise.
Le praticien local joue en effet un rôle déterminant dans les relations avec les acteurs institutionnels (CCSF, services de la Région, CRP, préfecture, organismes sociaux, AGS, etc.) et dans la gestion opérationnelle des aspects sociaux (tenue des CSE, réunions sur site, accompagnement des salariés).
La co-désignation favorise en outre une complémentarité fonctionnelle entre les praticiens : l’un peut assurer la préparation d’une sauvegarde accélérée (constitution et animation des classes de parties affectées), tandis que l’autre se consacre à l’évaluation de la valeur liquidative et des coûts potentiels d’une liquidation judiciaire.
Ce binôme permet une meilleure anticipation des évolutions possibles de la procédure, une mutualisation des équipes et une coordination accrue avec les juridictions spécialisées, garantissant ainsi un traitement plus efficace et plus équilibré des dossiers complexes.

1. Le principe posé par l’article L. 662-8 du Code de commerce
L’article L. 662-8 du Code de commerce autorise le tribunal saisi d’une procédure concernant une société à connaître également de celles qui visent sa mère ou ses filiales (au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3).
Il s’agit d’une extension de compétence, et non de procédure : chaque société conserve sa propre procédure, mais l’objectif est d’assurer une gestion cohérente du groupe.
Cette coordination facilite la désignation d’organes communs (administrateurs, mandataires, juges-commissaires) et la cohérence des décisions sur les plans ou les cessions.
2. L’articulation entre TCS et TAE
Lorsque la société mère relève d’un tribunal de commerce spécialisé, les procédures concernant ses filiales doivent être renvoyées devant ce même tribunal pour cohérence.
Inversement, une filiale peut justifier la prorogation de compétence du tribunal saisi vers la société mère lorsqu’il existe un contrôle effectif. Ces situations génèrent parfois des tensions avec le périmètre des nouveaux TAE, dont la compétence territoriale peut se superposer à celle des TCS. En pratique, la règle de spécialisation prime dès lors qu’elle est acquise à la date d’ouverture.
3. Le risque de forum shopping
La possibilité d’attraire l’ensemble du groupe devant un même tribunal peut engendrer des stratégies de forum shopping, notamment par le choix du lieu de dépôt du siège social d’une filiale contrôlée.
La jurisprudence reste vigilante sur la réalité du siège effectif, qui ne saurait être artificiellement transféré dans un ressort favorable (Cass. com., 13 févr. 2019).
Le critère de la localisation de la direction effective demeure déterminant pour éviter les manipulations de compétence.
1. Le règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015
En matière transfrontalière, le règlement (UE) 2015/848 sur les procédures d’insolvabilité établit une coordination obligatoire entre juridictions et praticiens des États membres. Le critère du centre des intérêts principaux (COMI) détermine la compétence pour l’ouverture de la procédure principale.
Des procédures secondaires peuvent être ouvertes dans les États où le débiteur possède un établissement.
La coopération entre syndics et tribunaux vise à éviter les conflits de compétence et les chevauchements de procédures.
Les dispositions relatives aux groupes de sociétés (art. 56 et s.) organisent la possibilité d’une coordination volontaire entre administrateurs et juridictions, sans imposer de procédure unifiée.
2. Les limites du mécanisme de coordination
Le règlement repose sur une logique de coopération souple, sans centralisation obligatoire.
Chaque société reste soumise à sa propre procédure, mais les praticiens peuvent conclure des protocoles de coordination validés par les juridictions concernées. Ce modèle permet une approche pragmatique tout en respectant la personnalité morale de chaque entité.
Toutefois, la coordination reste dépendante de la volonté des organes de procédure et de la reconnaissance mutuelle des décisions.
3. Le régime hors Union européenne
En dehors du champ du règlement (notamment avec les États tiers ou le Danemark), s’appliquent les règles du droit international privé commun.
La Cour de cassation a jugé que les effets d’une procédure étrangère ne peuvent être reconnus en France qu’après exequatur de la décision d’ouverture (Cass. civ. 1re, 2 oct. 2012). Les nullités de la période suspecte ou les mécanismes d’extension n’ont donc pas d’effet automatique.
Les juridictions françaises apprécient la compatibilité de la procédure étrangère avec l’ordre public économique avant de lui reconnaître effet.
Le droit processuel français et européen s’oriente vers une coordination renforcée des procédures de groupe, sans effacement de l’autonomie juridique. Les TAE, les mécanismes de prorogation de compétence et la coopération transfrontalière visent un même objectif : concilier unité économique et pluralité des débiteurs.
La question d’un régime unifié des procédures de groupe reste ouverte, mais la prudence du législateur témoigne d’un attachement à la logique individualisée du Livre VI.
L’enjeu, désormais, est d’assurer la cohérence des décisions sans créer une procédure globale qui nierait l’identité propre de chaque société.