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Médiation et entreprises en difficulté, de nouvelles missions pour les AJMJ ?

Le projet de loi d'orientation et de programmation du Ministère de la Justice pour la période 2023-2027 a été présenté lors du conseil des ministres du 3 mai 2023 et vient de passer en commission mixte parlementaire.

Par Thibaud POINSARD, mandataire judiciaire et vice-Président de l'IFPPC

Ce projet a notamment pour objectif de « développer de nouveaux modes amiables aux côtés de la médiation et de la conciliation afin que le justiciable participe à l’œuvre de Justice, soit écouté et responsabilisé. »

Plus particulièrement, concernant la justice économique, l’annexe au projet de loi précise que « La justice économique doit faire l’objet de certaines innovations permettant d’en assurer la lisibilité pour le justiciable et ses différents acteurs et d’en renforcer la centralité en matière de régulation économique. Afin d’assurer une prise en compte optimale des spécificités du contentieux commercial, et dans un souci de bonne administration de la justice, un tribunal des activités économiques (TAE) compétent pour connaître de toutes les procédures amiables et collectives à l’exception de certaines professions libérales, sera constitué, par l’intermédiaire d’une expérimentation, auprès d’un échantillon représentatif de territoires expérimentateurs. Une contribution financière sera à cette occasion également expérimentée, à l’instar de ce qui se pratique dans la plupart des autres pays européens. Elle tiendra compte, notamment, de la faculté contributive du demandeur, de l’enjeu du litige et de sa nature. En seront exclus la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, le demandeur à l’ouverture d’une procédure amiable ou collective prévue au livre VI du code de commerce et l’Etat. Cette contribution a vocation à financer le service public de la justice et servira d’outil supplémentaire pour le juge. En cas de règlement amiable du différend, il sera procédé au remboursement de cette contribution. »

Cette volonté de développement du règlement amiable dans la matière commerciale est nouvelle et à saluer. Les mandataires de justice sont prêts à tenir un rôle dans ce développement des modes alternatifs de règlements des litiges.

I. PRÉCISIONS SUR LA MÉDIATION

A. Définition de la médiation

L’article 21 de la loi 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative dispose que « La médiation régie par le présent chapitre s'entend de tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige ». Il est évident que la médiation, en tant qu’outil pour résoudre des conflits ou négocier des contrats par exemple, est à l’état embryonnaire en France. L’enjeu est pourtant fondamental notamment pour favoriser la paix sociale.

"Il est regrettable que les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires ne puissent pas exercer les fonctions de médiateurs."

B. Le médiateur

À ce jour, ce statut n’existe pas, et il n’y a pas de profession réglementée à proprement parler et pas de diplôme national, à l’exception de celui de médiateur familial. 

Le Code de procédure civile prévoit en son article 131-5 des conditions pour qu’une personne physique soit désignée médiateur par le Juge. Outre des conditions de moralité et d’indépendance, le législateur indique que la personne choisie comme médiateur doit « Posséder, par l'exercice présent ou passé d'une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige » et « Justifier, selon le cas, d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation ».

Un Conseil national de la médiation a enfin été créé par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 et son fonctionnement régi par un décret n°2022-1353 du 25 octobre 2022. Dans ses missions, ce Conseil national doit proposer un recueil de déontologie pour la pratique de la médiation, proposer des référentiels de formation et émettre des propositions sur les conditions d’inscription sur la liste des médiateurs près les Cours d’appel. 

Sa composition regroupe notamment des représentants des notaires, des avocats et des commissaires de justice. 

Il est regrettable que les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires ne puissent pas exercer les fonctions de médiateurs, les articles L.811-10 2° et L.812-8 2° du Code de commerce établissant des listes restrictives des missions possibles pour ces auxiliaires de justice.

Le législateur considère qu’il faut être compétent puisque par exemple dans le domaine du droit public, l’article L.213-2 du Code de Justice Administrative dispose que « Le médiateur accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».

La compétence est donc l’un des trois critères pour l’accomplissement de la mission du médiateur en matière administrative.

Par extension, il faudrait donc considérer que dans la matière commerciale ou du droit des entreprises en difficulté, le médiateur dispose de connaissances techniques et juridiques sur le litige en cause.

II. LES AJMJ, DES MÉDIATEURS ?

À ce jour, le mandataire de justice ne peut pas exercer les fonctions de médiateur.

Le Code de commerce prévoit en effet pour le mandataire de justice une exclusivité d’exercice de la profession d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire afin de mettre les professionnels à l’abri des conflits d’intérêts.

Cette exclusivité d’exercice de la profession a été instaurée par la loi BADINTER de 1985 sur les entreprises en difficultés.

Cette loi a aussi créé l’exclusivité d’exercice de la profession de mandataire judiciaire et d’administrateur judiciaire.

Cette exclusivité a été considérée comme conforme à la Constitution. En effet, et dans le cadre de l’examen d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel, dans une décision en date du 5 août 2022 (n°2022-1008), a confirmé que l’article L.812- 8 du Code de commerce, dont découle pour un mandataire judiciaire l’interdiction d’exercer la profession d’avocat, est conforme à la Constitution. Le Conseil Constitutionnel a ainsi motivé sa décision par la nécessité d’assurer l’indépendance du professionnel, son entière disponibilité et pour prévenir les conflits d’intérêts.

Pourtant, la fonction de médiateur devrait pouvoir être exercée par les mandataires judiciaires et les administrateurs judiciaires.

En effet, le coeur même de leur métier est au centre d’intérêts contradictoires dans le cadre du traitement d’une entreprise en difficulté (dirigeant, créancier, salarié, actionnaire, revendiquant, bailleur…).

La gestion de ces intérêts opposés constitue à n’en pas douter une expérience significative qui doit leur permettre d’exercer les fonctions de médiateurs.

Il est formé ici le voeu que dans le cadre de réformes à venir sur l’élargissement des missions qui peuvent être confiées au mandataire judiciaire,

la voie de la médiation soit ouverte aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires.

Néanmoins, et même sans pouvoir exercer la fonction de médiateur, les techniques tirées du processus de médiation sont tout à fait transposables dans le cadre des missions des mandataires de justice, qu’il s’agisse des procédures de traitements des difficultés des entreprises dites amiables (A), des procédures de traitements des difficultés des entreprises dites judiciaires (B) ou pour le traitement d’autres mandats (C).

A. Application dans le cadre des procédures amiables relevant du livre VI du Code de commerce

Le Code de commerce a organisé deux procédures dites amiables pour le traitement des entreprises en difficulté, à savoir le mandat ad hoc et la conciliation.

Le mandat ad hoc est institué par l’article L.611-3 du Code de commerce qui dispose à la première phrase de son alinéa 1er que « Le président du tribunal peut, à la demande d'un débiteur, désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission ». Cette procédure a été créée par la pratique des juridictions et consacrée par la loi de Sauvegarde de 2005.

Ce mandat est donc un outil extrêmement souple puisqu’il va permettre de construire une mission « sur-mesure ». Nous verrons dans le paragraphe C différentes hypothèses mais nous ne retiendrons ici que les missions relatives au traitement des difficultés économiques en lien avec des créanciers.

La conciliation a quant à elle un champ d’application plus restreint puisque l’article L.611-4 du Code de commerce dispose qu’« il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours ».

Cette procédure instituée par la loi de Sauvegarde de 2005 a constitué une révolution puisqu’il est désormais possible de traiter en amont des difficultés d’une entreprise, sans solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, alors même que l’entreprise est potentiellement en état de cessation de ses paiements.

Ces deux procédures sont par nature confidentielles (aucune publicité de la décision n’intervient) et elles sont ouvertes à la seule initiative du débiteur.

En pratique, ces procédures commencent par un rendez-vous préalable entre le chef d’entreprise et le mandataire ad hoc ou conciliateur pressenti. Au cours de ce rendez-vous, les différentes procédures de traitement des difficultés des entreprises sont en principe présentées.

C’est la fameuse « boîte à outils ».

Ensuite, une requête est soumise au Président du Tribunal compétent (Tribunal de commerce ou Tribunal Judiciaire en fonction de la nature de l’activité exercée par le débiteur) et le Président du Tribunal ouvre la procédure et nomme le mandataire ad hoc ou le conciliateur si les conditions sont réunies.

Une fois la procédure ouverte, deux grandes catégories de créanciers sont en général traitées : les créanciers fiscaux et sociaux d’une part, et les créanciers bancaires d’autre part.

Les créanciers fiscaux et sociaux sont traités le plus souvent par la saisine de la CCSF (Commission des Chefs des Services Financiers).

Pour les créanciers bancaires en revanche, une première réunion est organisée à l’initiative du mandataire. Au cours de cette première réunion, l’objectif est de renouer le dialogue si celui-ci était rompu, et en tout état de cause, d’assurer une transparence de l’information et une égale information auprès des différents partenaires bancaires. En général, un bref rappel de l’historique de l’entreprise et de l’origine de ses difficultés est réalisé. Puis, un tour de table est effectué pour les questions et échanges. Un point sur les dettes est également fait ce qui permet à chaque établissement de crédit de bien connaître les engagements auprès des autres banques.

Une deuxième réunion est souvent organisée au cours de laquelle sont examinés les documents financiers sollicités usuellement (dernier bilan, situation intermédiaire, prévisionnel d’exploitation et de trésorerie sur les mois à venir). En fonction de ces documents, des demandes sont formalisées (maintien des lignes court terme, gel des concours moyen terme, rééchelonnement…).

Lorsqu’un accord est trouvé, il se noue le plus souvent dans le cadre d’une procédure de conciliation qui permet de faire constater ou homologuer ledit accord.

Il ressort de ces éléments qu’à chaque étape de ces mandats, les outils de la médiation sont utiles pour le mandataire ad hoc ou le conciliateur.

Ainsi, lors du rendez-vous préalable, l’écoute active est un point clé. Il faut faire preuve d’empathie. Lors des réunions avec les banques, le questionnement et la reformulation sont là aussi des clés essentielles pour permettre une meilleure compréhension de la situation, des difficultés rencontrées. Il y a en effet souvent des difficultés qui ne sont pas identifiées par le chef d’entreprise et ces réunions permettent une prise de conscience (problème de marge, problème de personnel…).

"Il ressort de ces éléments qu’à chaque étape de ces mandats, les outils de la médiation sont utiles pour le mandataire ad hoc ou le conciliateur."

B. Application dans le cadre des procédures judiciaires relevant du livre VI du Code de commerce

Il n’y a pas seulement dans les mandats amiables que les techniques de médiation sont pertinentes. Dans les mandats judiciaires plus classiques (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire), on retrouve leur utilité.

Dans la relation avec les dirigeants, l’écoute active est indispensable lors du rendez-vous d’ouverture de la procédure. Le chef d’entreprise est le plus souvent en grande difficulté économique ce qui rejaillit sur sa situation personnelle. Et souvent également, les difficultés de l’entreprise proviennent en réalité de difficultés personnelles (maladie, séparation, décès…).

Tant d’un point de vue humain que d’un point de vue de pure efficacité, il est indispensable qu’une certaine confiance se noue lors des premiers échanges pour comprendre l’origine des difficultés de l’entreprise, essayer de trouver des solutions, ou lorsque ce n’est pas ou plus possible, d’essayer d’accompagner au mieux le chef d’entreprise pour faciliter ultérieurement son rebond.

Dans la relation avec les créanciers, là aussi l’écoute est importante. Le créancier est par nature insatisfait puisqu’il n’est pas payé. La confiance a été en partie ou totalement rompue avec le débiteur.

Et en plus, du fait de l’ouverture de la procédure, le créancier ne sera pas payé immédiatement. Il va lui être demandé un effort de patience puisqu’il ne sera pas payé pendant au moins un an le temps de la période d’observation de sauvegarde ou de redressement judiciaire, et ensuite, dans l’hypothèse d’un plan, il pourra être payé sur une durée maximale de 10 ans.

Quant à la liquidation judiciaire, la consistance des actifs est souvent faible par rapport au montant du passif, de sorte que les créanciers chirographaires sont souvent sacrifiés. C’est dire si le dialogue qui doit se faire entre les créanciers et le débiteur par l’intermédiaire du mandataire judiciaire qui représente l’intérêt collectif des créanciers, est à la fois nécessaire mais difficile. Le mandataire judiciaire devra faire preuve de pédagogie, de sang-froid, et comme il a été dit plus haut d’écoute.

Enfin, dans la relation avec les salariés, qui sont des créanciers particuliers, la tension peut être encore plus significative. En effet, lorsque le salaire n’est pas payé, c’est la possibilité même pour ce salarié de faire vivre sa famille qui est potentiellement remise en cause.

À l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, la priorité du mandataire judiciaire sera de vérifier si des créances salariales sont impayées et dans l’affirmative, de solliciter l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS), pour que celle-ci fasse l’avance des sommes dues aux salariés. Et dans le cadre d’une liquidation judiciaire, le liquidateur devra en parallèle mettre en oeuvre les procédures de licenciements.

Dans le cadre des entretiens préalables et tout au long du processus, le liquidateur judiciaire devra faire preuve là aussi de pédagogie mais aussi d’une grande écoute.

En effet, les salariés ont des angoisses légitimes qu’ils doivent pouvoir exprimer sur les sommes qui leur sont dues et qui doivent être débloquées en urgence. Ils ont aussi des angoisses sur la perte de leur emploi et la possibilité de trouver un nouvel emploi. Dans certaines zones géographiques, la possibilité de retrouver un emploi est parfois délicate.

C. Autres applications

Il existe enfin d’autres mandats pour lesquels les techniques de médiation sont efficaces.

Ainsi en cas de liquidation amiable, il peut arriver que celle-ci résulte d’un conflit entre associés. Le liquidateur amiable qui peut être un mandataire judiciaire devra écouter activement chacun des associés, d’autant que se mêleront par hypothèses des questions de répartition du boni de liquidation entre eux.

Par ailleurs, et comme il a été indiqué au paragraphe A, des mandats ad hoc peuvent être ouverts au-delà du seul cas de difficultés purement économiques. C’est ainsi que des mandats ad hoc sont ouverts pour traiter des conflits entre associés. Comme il a été vu pour la liquidation amiable, l’écoute active sera utile pour comprendre les intérêts et les besoins des associés afin de mieux proposer des solutions pour traiter ce conflit (nouvelles règles de fonctionnement de la société, sortie de l’un des associés…).

Des mandats ad hoc sont ouverts aussi pour traiter des relations entre un locataire et son bailleur commercial. La période du COVID 19 a mis en lumière ce type de mandat avec toutes les discussions sur les demandes de suspension de paiement de loyer, de remises de loyer, de rééchelonnement, de signature de nouveaux baux…

Là aussi, en fonction de la manière dont ont été vécues ces relations locataire-bailleur, l’intervention d’un tiers mandataire ad hoc pour aider les parties à trouver une solution est pertinente.

Des mandats ad hoc sont également ouverts pour traiter plus classiquement des conflits commerciaux. Il s’agit alors d’une sorte de médiation qui ne dit pas son nom avec toute la souplesse qu’apporte le mandat ad hoc et sans le caractère encadré par le Code de procédure civile pour les médiations judiciaires par exemple.

III. EN CONCLUSION

Les mandataires de justice disposent des compétences de négociateurs dans le cadre de la gestion de crise.

Nous souhaitons mettre à disposition ces compétences en proposant de :

  • permettre aux administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires d’être désignés en tant que médiateur (articles 131-4 et suivants et articles 1532 et suivants du Code de procédure civile)
  • permettre aux administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires d’être désignés en tant qu’arbitre (articles 1450 et suivants du Code de procédure civile).

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